Deux grands professeurs
Il y a quelques jours, Jozef Mertens a été enterré. Peu de temps avant lui, un autre prêtre retraité, André T’jampens, est mort à Nazareth. Ils étaient tous deux licenciés en philosophie. Ils ont vécu jusqu’à plus de 80 ans. Leur image est toujours très proche de moi.
C’était une université différente à l’époque, avec à peine plus de 4 000 étudiants. On pensait que c’était beaucoup à l’époque, imaginez. J’étais venu de l’athénée d’Alost pour étudier le droit et la philosophie à Gand, avec beaucoup d’intérêt, un véritable enfant des premières générations de la démocratisation de l’enseignement. Les contrastes idéologiques à l’université, parmi les étudiants, étaient à mon avis plus forts et plus aigus qu’aujourd’hui, voire considérables. Les gens étaient libéraux ou catholiques ; beaucoup le montraient en portant une casquette d’étudiant noire ou rouge. Et au sein des libéraux, ce n’était même pas simple : libéraux, socialistes, radicaux de gauche, communistes,… Et puis il y avait les flamants roses – dont moi – et les francophones… (note : la population Francophone en Belgique).
Revenons à nos deux décès. Il faut imaginer la soi-disant paroisse étudiante, l’ancienne Société Saint-Thomas, le KUC comme on l’appelait. Je m’étais retrouvé là, même si je venais de l’athénée, en raison de mon parcours religieux ambivalent, porté notamment par ma mère. Et je me suis retrouvé dans une sorte de monde philosophique où André T’jampens et Jef Mertens ont réussi à fasciner des centaines d’étudiants pendant des années avec leurs cours du soir et leurs conférences de l’après-midi. Pas de sermons du tout, pas de dévotion.
Mais ils ont discuté de Nietzsche, de Freud, de la psychologie de la religion, de la sociologie de la religion, de Martin Heidegger… La salle était pleine, semaine après semaine, au moins vingt fois par année universitaire. Et cette pièce, là, dans la rue Kortrijksepoort, près de la chapelle silencieuse de Schreiboom, était grande.
Je me souviens des discussions qui ont suivi, à la Rotonde, le pub du coin, avec mon ami de toujours, Paul Bauters, plus tard juge de paix et l’un de nos rares experts en moulins, avec qui les thèmes favoris ont été repris. Et avec beaucoup d’autres, avec Etienne Vermeersch, qui avait déjà dévié du droit chemin du catholicisme, comme je le ferai peu après…
Jaap Kruithof a été mon plus important professeur de philosophie à l’université. Je me souviens de l’énorme contraste entre ces deux mondes philosophiques : André T’jampens et Jef Mertens d’une part et Jaap Kruithof et beaucoup d’autres avec lui d’autre part.
Tout cela montre qu’il y avait un intérêt spirituel intense dans ces années d’avant Mai 68, un grand débat, qui était constamment présent. Bien sûr, nous n’avons pas oublié que le café des étudiants et la salle de danse étaient d’égale importance.
Je me souviendrai toujours de ces deux enseignants, maintenant que les anges les ont conduits au paradis.